Vous êtes peut-être nombreux à vous poser la question. Certains d’entre vous me l’ont en tout cas déjà posée. Pourquoi Barcelone ? Au final, qu’est-ce qui fait qu’on choisit une ville plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce qui nous guide à l’heure de choisir le lieu où l’on va vivre plusieurs mois de sa vie ? A l’heure de choisir cet endroit qui deviendra si spécial pour nous ? Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ?
Quand j’ai dit que je partais à Barcelone, les réactions ont été étonnamment unanimes : “Barcelone ?! Mais c’est génial ! T’as trop de chance, tu vas voir c’est une ville géniale ! (Je viendrai te voir !)”. Ma réponse était toujours la même : ça me faisait rire. Et je me demandais à chaque fois comment une ville peut-elle autant faire l’unanimité et engendrer la même réaction encore et toujours, cette même excitation vécue par procuration.
Barcelone est une ville géniale. C’est un fait indéniable. Tous les goûts sont dans la nature mais je pense effectivement que peu de gens peuvent affirmer qu’ils n’aiment pas Barcelone. Mais ce n’est pas pour ça que j’ai choisi d’y aller.
J’avais déjà été à Barcelone. Une fois. C’était en voyage rhéto (la rhéto étant la dernière année de l’école secondaire en Belgique). Avec ma classe, on avait passé deux semaines incroyables avec des étudiants de Terrassa, une petite ville tout près de Barcelone. Du coup, on avait visité la ville une ou plusieurs fois. Mais je ne m’en souviens presque pas. Je me souviens surtout du Parc Güell, parce qu’il est inoubliable. Et puis, j’ai certaines bribes de souvenirs un peu éparpillés par-ci par-là : le toit en verre qui fait miroir du Maremagnum, le trottoir devant la Sagrada Familia où on avait attendu avant d’y entrer (mais je ne me souviens de rien de l’intérieur !) ou encore les pigeons de la Plaça Catalunya et ce kiosque où j’avais cherché en vain un magazine particulier. Et c’est à peu près tout. Incroyable, non ? J’avais 17 ans et je ne me souviens que de ça. Parfois, marcher dans les rues de Barcelone me remémore des moments, ils reviennent par morceaux mais je ne me fais pas d’illusion, je sais qu’ils ne reviendront pas tous.
J’avais 17 ans, je suis venue à Barcelone avec ma classe, entourée de mes meilleurs amis, et je ne me souviens presque de rien. Je suis une amoureuse des villes, je pourrais passer des heures à les photographier, mais peut-être qu’à ce moment-là ce n’était pas encore le cas. Peut-être qu’à ce moment-là rien ne m’atteignait plus que la présence de mes amis à mes côtés.
J’ignore la raison exacte mais toujours est-il que Barcelone ne m’avait pas marquée. Alors non, mon choix n’a pas été guidé par ce qui nourrit ce regard rempli d’envie et d’admiration que j’ai vu chez presque toutes les personnes à qui j’ai dit que je partais à Barcelone.
Outre une raison très personnelle que je n’évoquerai pas ici, mon choix a été simple : quand j’ai cherché des offres de stage en Espagne, je n’en ai trouvé presque qu’à deux endroits : Madrid et Barcelone. J’aime Madrid. Mais genre, vraiment : je suis tombée sous le charme de cette ville la première fois que j’y ai mis les pieds. (Et là vous vous dites “WHAT THE FUCK ce qu’elle raconte n’a aucune logique !”) Je me suis toujours dit que quand j’irai vivre en Espagne, ce serait à Madrid. Donc j’ai commencé à cogiter : si je veux aller vivre à Madrid, pourquoi ne pas tester d’autres villes avant ? Et Barcelone, ça pouvait être pas mal. En plus y’a la mer.
J’étais persuadée de ne pas vouloir vivre à Barcelone plus que pendant quelques mois. Pour une raison toute simple : parce que cette ville est remplie d’indépendantistes. Pour la plupart des gens, c’est juste un détail. Pour moi, Belge, ça ne l’est pas. J’ai grandi dans l’ambiance des indépendantistes flamands, sans jamais arriver à comprendre ce qui les motivait. Pourquoi une partie d’un pays veut-elle se détacher complètement de son pays et mettre fin à une histoire commune de plusieurs siècles pour des raisons qui, au final, ne sont qu’égoïstes ? “On en a marre de payer pour eux. Eux ils ne travaillent pas, ils ne font rien à part se reposer sur notre argent.” Voilà la vision qu’ont les indépendantistes flamands, et sa proximité au racisme m’a toujours donné envie de vomir.
Alors moi, petite Belge, qui en plus est une grande fan de l’Europe et de ce projet de se rassembler au lieu de se diviser, même avec toute la tolérance du monde que je porte en moi (sans ironie aucune), l’indépendantisme est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Je n’ai jamais compris comment autant de gens pouvaient penser, à l’heure où des dizaines de pays construisent un projet commun, à se séparer de leur propre pays pour devenir plus petit au lieu d’être plus grand. Et partir loin de mon pays pour me retrouver encore une fois à vivre avec ces personnes-là, sérieusement c’était hors de question.
Sauf que. Au final, même si on voit fleurir des drapeaux indépendantistes catalans aux balcons de tous les coins de rue, il y a toujours, pas loin, au moins un drapeau de la Catalogne en tant que région d’Espagne et non en tant que pays indépendant, qui vient les titiller.
Au final , on peut dire tout ce qu’on veut, on peut dire avec toute la raison du monde que l’histoire de la Flandre et celle de la Catalogne sont différentes, il n’en reste pas moins que pour moi elles sont similaires. Ce sont deux petites parties d’un pays dans lesquelles il existe un grand débat entre ceux qui ne veulent plus n’être qu’une partie et ceux qui ne comprennent pas les premiers.
A l’heure de choisir de concentrer mes recherches de stage sur Barcelone, il me restait quand même un doute : le catalan. Tous ces indépendantistes vont-ils me trucider du regard si je leur parle espagnol et non catalan ? Je vous assure, j’y ai vraiment pensé. Mais j’ai été rassurée par des Barcelonais et aujourd’hui sur place j’en arrive même à oublier que le catalan existe. Que les Catalans m’excusent, je peux comprendre que ça ne doit pas être facile (“sans ironie aucune” bis). Mais ici ils sont tous bilingues, certains parlent même espagnol avec leurs proches et dans les magasins je n’entends que parler espagnol. Alors c’est le plus naturellement du monde que je m’exprime en espagnol, et jusqu’ici personne n’a refusé de me répondre.
Alors voilà. Je suis partie à Barcelone sans rien connaître ou presque, et je n’étais qu’une boule d’excitation à l’idée de découvrir une nouvelle ville, qui plus est une ville qui faisait à tel point parler d’elle.
Et aujourd’hui, je comprends. Je comprends l’étincelle dans le regard, parce que je l’ai aussi.
A Barcelone, il y a tout. Barcelone n’est pas une ville homogène, bien au contraire. Je vis dans un quartier aux rues qui se croisent dans un enchevêtrement parfait de rues parallèles et perpendiculaires. On se croirait dans ces villes américaines faites de blocs d’immeubles. Et quand je dis immeuble, vous pouvez penser à un vieil édifice d’une architecture douteuse ou carrément foireuse, mais non. C’est une suite de beaux immeubles qui se côtoient en parfaite harmonie. Je vis dans ce monde-là, mais en marchant un peu je me retrouve vite dans la vieille ville, aux rues sinueuses et étroites dans lesquelles il est très facile de se perdre. Barcelone n’est pas très grande mais elle rassemble en elle beaucoup de choses. Parfois, j’ai l’impression d’être à Madrid. D’autres fois, je jurerais être au milieu d’un petit village italien. En se promenant ici, on peut passer d’un univers à un autre d’une minute à l’autre. De la ville au village, du sud au nord et même de la plage à la montagne. Et surtout, surtout : tout est beau. Ce qui est complètement incroyable, parce que généralement même dans les plus belles villes l’endroit beau est très limité et quand on s’en éloigne on se trouve vite dans des faubourgs qui ne ressemblent pas à grand-chose. Mais ici, la partie belle est incroyablement grande.
L’entreprise pour laquelle je fais mon stage tient un blog touristique sur Barcelone. Du coup, je suis souvent amenée à lire des articles sur les choses à voir et à faire ici. Je n’ai aucune idée de combien de temps il me faudrait pour tout voir, mais je sais pertinemment que trois mois c’est trop peu. Et c’est rien d’autre que frustrant !
Alors, Madrid ou Barcelone ?
J’aime tellement Barcelone que j’en suis confuse. Ici, la grande question c’est : tu préfères Barcelone ou Madrid ? Et tous ceux qui connaissent les deux villes y apportent une réponse tranchée. Sauf moi. A vrai dire, je n’en sais rien. Rien que le fait d’aimer Barcelone autant que Madrid me déstabilise parfois. Mais dois-je vraiment préférer une ville à une autre ? J’ai toujours détesté les préférences, les “t’es plutôt ceci ou cela ?”. J’ai toujours été comme un caméléon, j’aime tout (ou presque) et je m’adapte sans aucun problème. C’est tout.
Aujourd’hui, je sais que je pourrais vivre à Barcelone. Même si en disant ça une partie de mon cœur me crie “Mais Léonor tu ES FOLLE ? C’est à Madrid que tu dois être !”. J’ai encore le temps d’y réfléchir, et au final mon choix sera sûrement guidé par les opportunités qui s’offrent à moi.
Mais quand je pense aux choix que je devrai faire, j’ai toujours en tête l’image de mon prof de journalisme qui nous répétait tout le temps la même chose : “Choisir, c’est renoncer”.
Et sur cette belle parole, je vous souhaite une bonne soirée. Ou journée.